Dziga Vertov (Białystok, 2 janvier 1896 - Moscou, 12 février 1954), de son vrai nom Denis (Abramovich) Arkadiévitch Kaufman, est un cinéaste soviétique d’avant-garde qui s’opposant à un cinéma dramatique et littéraire (une histoire, des acteurs, des décors), privilégia le montage-mouvement du réel.
Fils de libraires russes, il écrit ses premiers poèmes au lycée, suit des cours de musique au conservatoire et très tôt (1915-1916), se revendique du futurisme. Il prend officiellement le pseudonyme de Dziga Vertov. Il étudie la médecine à Saint-Pétersbourg et s’adonne à des expériences de musique bruitistes (le Laboratoire de l’ouïe).
En 1918 il rejoint la Révolution. Il devient rédacteur et monteur du premier journal d’actualité filmé soviétique. Jusqu’en juin 1919 il réalisera une quarantaine de films d’actualité. Fin 1919 il est correspondant de guerre et ramène des images pour La Bataille de Tsaritsyne. Début 1920 il part avec le train Révolution d’Octobre sur le front du Sud-Ouest et à chaque arrêt projette son film L’anniversaire de la Révolution (montage de ses films d’actualité) ; en même temps il filme le voyage. Il réalisera des documentaires sur divers sujets (procés, guerre civile, voyages).
En 1922 il sort différent numéros de Ciné-Vérité
Manifeste ciné-oeil
Je suis un oeil.
Un oeil mécanique.
Moi, c’est-à-dire la machine, je suis la machine qui vous montre le monde comme elle seule peut le voir.
Désormais je serai libéré de l’immobilité humaine. Je suis en perpétuel en mouvement.
Je m’approche des choses, je m’en éloigne. Je me glisse sous elles, j’entre en elles.
Je me déplace vers le mufle du cheval de course.
Je traverse les foules à toute vitesse, je précède les soldats à l’assaut, je décolle avec les aéroplanes, je me renverse sur le dos, je tombe et me relève en même temps que les corps tombent et se relèvent...
Voilà ce que je suis, une machine tournant avec des manoeuvres chaotiques, enregistrant les mouvements les uns derrière les autres les assemblant en fatras.
Libérée des frontières du temps et de l’espace, j’organise comme je le souhaite chaque point de l’univers.
Ma voie, est celle d’une nouvelle conception du monde. Je vous fais découvrir le monde que vous ne connaissez pas.
Le cinéma dramatique est l’opium du peuple.
A bas les rois et les reines immortels du rideau. Vive l’enregistrement des avants-gardes dans leur vie de tous les jours et dans leur travail !
A bas les scénarios-histoires de la bourgeoisie.
Vive la vie en elle-même !
Le cinéma dramatique est une arme meurtrière dans les mains des capitalistes ! Avec la pratique révolutionnaire au quotidien nous reprendrons cette arme des mains de l’ennemi.
Les drames artistiques contemporains sont les restes de l’ancien monde. C’est une tentative de mettre nos perspectives révolutionnaires à la sauce bourgeoise.
Fini de mettre en scène notre quotidien, filmez-nous sur le coup comme nous sommes.
Le scénario est une histoire inventée à notre propos, écrite par un écrivain. Nous poursuivons notre vie sans avoir à la régler au dire d’un bonimenteur.
Chacun de nous poursuit son travail sans avoir à perturber celui des autres. Le but des Kinoks est de vous filmer sans vous déranger.
Vive le ciné-oeil de la Révolution !
NOUS
Nous, afin de nous différencier de la meute de cinéastes ramassant pleinement la saleté des poubelles, nous nommons les " Kinoks ".
Il n’y a aucune ressemblance entre le " cinéma réaliste des Kinoks " et le cinéma des petits vendeurs de pacotilles.
Pour nous, le cinéma dramatique psychologique Russe-Allemand lourd de souvenir infantile ne représente rien d’autre que de la démence.
Nous proclamons les films théâtralisés, romanisés à l’ancienne ou autres, ensorcelés.
Ne les approchez pas !
N’y touchez pas des yeux !
Il y a danger de mort !
Ils sont contagieux !
Nous pensons que l’art du cinéma de demain doit être le reflet du cinéma d’aujourd’hui.
Pour que l’art du cinéma survive, la "cinématographie " doit disparaître. Nous voulons accélérer cette fin.
Nous sommes opposés à ceux que beaucoup appèle le cinéma de " synthèse ", mélangeant les différents arts.
Même si les couleurs sont choisies avec soin, le mélange de couleurs affreuses donnera une couleur affreuse, on ne peut obtenir le blanc.
La véritable union des différents arts ne pourra se faire que quand ceux-ci auront atteint leur apogée.
Nous nettoyons notre cinéma de tout ce qu’y s ’y est insinué, littérature et théâtre, nous lui cherchons un rythme propre, un rythme qui n’ait pas été chapardé ailleurs et que nous trouvons dans le mouvement des choses.
Nous exigeons :
A la porte
Les étreintes exquises des romances
Le poison du roman psychologique
Les griffes du théâtre amoureux
Le plus loin possible de la musique
Avec un rythme, une évaluation, une recherche d’outils propres à nous même, gagnons les grandes étendues, gagnons un espace à quatre dimensio ns (3 + le temps).
L’art du mouvement qu’est le cinéma ne nous empêche en aucun cas de ne pas porter toute notre attention sur l’homme d’aujourd’hui.
Le désordre et le déséquilibre des hommes autant que celui des machines nous font honte.
Nous projetons de filmer l’homme incapable de maîtriser les évolutions.
Nous allons passer du lyrisme de la machine à l’homme électrique irrécusable.
En dévoilant l’âme de la machine, nous allons faire aimer le lieu de travail de l’ouvrier, le tracteur de l’agriculteur, la locomotive du machiniste...
Nous allons rapprocher l’homme et la machine.
Nous formerons des hommes nouveaux.
Cet homme nouveau, épuré de ses maladresses et aguerri face aux évolutions profondes et superficielles de la machine, sera le thème principal de nos films.
Il célèbre la bonne marche la machine, il est passionné par la mécanique, il marche droit vers les merveilles des processus chimiques, il écrit des poèmes, des scénarios avec des moyens électriques et incandescents.
Il suit le mouvement des étoiles filantes, des évènements célestes et du travail des projecteurs qui éblouissent nos yeux.
Dziga Vertov - Manifeste ciné-oeil (1923)
Vos commentaires
Le 9 décembre 2008 à 02:59, par cultive ton jardin En réponse à : Dziga Vertov et les kinoks...
Je redécouvre Dziga Vertov découvert (sommairement) à Nanterre en 1986/88.
Merci.
A la fois, ça fait plaisir, ce ton abrupt et sans concessions. En même temps, n’est-ce pas sur ce point de départ, formidablement juste, qu’à pris racine la stérilisation de toute création artistique en URSS ?
Petite remarque annexe : la phrase "L’art du mouvement qu’est le cinéma ne nous empêche en aucun cas de ne pas porter toute notre attention sur l’homme d’aujourd’hui." me semble signifier, par sa double négation, le contraire de ce qu’elle suggère.