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Le journal des Lettres vidéo

lundi 22 janvier 2007

J’ai regroupé ici les articles de mon "journal de bord" que j’écrivais durant ma résidence d’artiste sur le quartier d’Empalot à Toulouse en avril, mai et juin 2005. Ces articles étaient publiés au fur et à mesure sur le site mechta.


Et bien voilà, j’ai commencé...


Le 10 avril 2005

Depuis une dizaine de jours je rencontre des associations ou des structures travaillant sur le quartier.

J’explique à chaque fois mon projet, puis je demande leur aide pour favoriser ma rencontre avec les habitants ainsi que la possibilité d’installer dans leurs locaux durant quelques jours,en mai et juin, une télévision avec un lecteur DVD.

Apparemment elles sont toutes intéressées par ma démarche de fabriquer des lettres vidéo avec les habitants du quartier sur leur "envie de vivre".

Avec Amandine (une stagiaire de l’Université du Mirail qui suit mon travail en ce moment), j’ai rencontré l’association Karavan pour voir si celle-ci pouvait passer un petit mot sur mon projet dans "les Coursives d’Empalot".
Ali, que je connais depuis longtemps, me reçoit un peu sèchement. Il pensait que je voulait installer une télévision sous le chapiteau prévu dans le cadre de leur initiative contre les descriminations. Je lui répond que non, que ce n’est pas pour cela que je suis passé, qu’il me semble évident que mon projet ne rentre pas dans ce cadre, et je n’imagine pas une télé sous chapiteau...
Puis Aziz arrive ; je lui explique ; il me répond gentiment que cela risque de ne pas être possible car il n’y a peut-être plus de place dans "les Coursives", qu’il va voir avec Philippe, qu’il me téléphone plus tard... Je n’ai pas reçu d’appel.
Pendant ce temps Ali réclame en plaisantant qu’Amandine poursuive son stage à Karavan.

Nous avons rencontré aussi des personnes du Centre Social, de la Bibliothèque-Médiathèque, de Génération Solidaire. La réunion a eu lieu au centre social. Ce qui m’a surpris c’est que toutes les personnes représentant ces structures sont des femmes.

C’était une réunion de présentation et d’explication.
Toutes ont l’air intéressé par les lettres vidéos. Le centre social installera, si il obtient l’autorisation, la télévision en juin dans le hall d’accueil. La médiathèque pourrait aussi m’accueillir dans ses locaux : j’aurais une place pour y travailler (filmer et monter les lettres) et installer une télé, super : là aussi il faut l’autorisation des supérieurs. Génération solidaire me propose de rencontrer ses adhérents le 12 avril.

Jeudi 7 avril je suis passé voir rue de Fénétra Multimedi@log. Des personnes de tout âge sont assises devant une floppée d’ordinateurs.

J’ai rencontré Kader qui m’a accueilli très sympatiquement et en m’offrant le café. Il me propose une pièce dans son association pour pouvoir y travailler, on fixe deux rencontres avec les utilisateurs de la structure le mercredi 13 avril au matin et le lundi 18 à la même heure. Normalement à partir de là, il me semble possible de commencer à fabriquer les lettres vidéo avec les personnes intéressées. Kader m’a aussi présenté Léonard qui veut apprendre le montage vidéo en suivant un peu mon travail. Pas de problème Léonard, cela ne me dérange pas.

Les rendez-vous commencent à s’accumuler. C’est bien, car j’aime les rencontres et cette impression de mouvement, que cela démarre, l’action...

En plus des réunions prévues chez Multimédi@log, je vois le Club de Prévention mardi 12 avril pour détailler mon projet et fixer une réunion avec les jeunes. Je me présente également mercredi 13 pendant la pause café de 13 heures aux employés de la Médiathèque...

J’ai très peu de temps d’ici le vernissage de ma résidence d’artiste ( le 3 mai), et j’aimerai y présenter déjà une dizaine de lettres vidéo. Cela va être chaud comme délai. J’aime ces périodes de concentration intense. Il ne faut surtout pas que la quantité passe avant la qualité. Je crois aussi qu’il est très important de prendre du temps pour rencontrer les gens, d’expliquer : un vieux proverbe dit que les chemins les plus courts ne sont pas à l’arrivée les plus rapides.

Ah, j’allais oublier. Avec Amandine , il y a quinze jours, nous avons scotché des petites annonces dans Empalot sur les cabines téléphoniques, les boites aux lettres de la poste, sur les récupverre, chez les commerçants...
Nous (je) n’avons pas osé sonner aux portes des immeubles pour en mettre dans les halls d’entrer. Je n’aime pas déranger, de la timidité ?

Les petits papiers ne sont pas restés très longtemps, et pour l’instant il n’y a eu aucun coup de téléphone.

N’oublions pas la technique...

J’ai enfin reçu la petite caméra numérique que je vais utiliser pour les lettres. Je l’ai testée. Elle n’est pas très sensible en faible lumière mais en contre partie elle a une excellente image et de très belles couleurs. Elle a aussi une très bonne qualité photo. J’ai envie d’utiliser la photo dans la construction des films, faire des effets avec...

J’ai bidouillé un truc pour y accrocher un micro. Cela la rend plus haute et moins maniable mais le son c’est hyper important car c’est la moitié d’un film, donc je ferai avec. Je l’utilise un peu tous les jours pour m’habituer à elle et pour faire en sorte que je ne focalise pas sur son fonctionnement. Il faut qu’elle devienne transparente pour que je puisse me concentrer sur les personnes qui vont me donner à écrire leur lettre vidéo.

Par contre gros problème : j’ai pas de batterie de secours. J’ai qu’une heure d’autonomie sinon faut que je me branche sur une prise de courrant. J’en n’ai pas trouvée sur Toulouse et il faut la commander ailleurs. Et il y a plus de trois semaine d’attente pour en recevoir !!! Tout le monde en France est en rupture de stock !
Cela, c’est la conséquence d’une économie qui fonctionne à flux tendus, comme ils disent à la télé.

Messages du forum associé à l’article :

13 avril 2005 > Et bien voilà, j’ai commencé...

Ca y est c’est parti, c’est bien, je vais passer ici de temps en temps pur voir où tu en es...

Ton passage par l’institutionnel (assos etc...)me fait penser que tu ne trouveras pas beaucoup d’appui, là.... Qu’il faut chercher une , pas facile autonomie, et ptêt accepter de se faire récupérer après... Mais j’aime bien, comment tu parles de c tout les niveaux en même temps... Vas-y gars ! André

21 avril 2005 > Et bien voilà, c’est commencé...

Je suis désolée de ne venir consulter ton site qu’aujourd’hui...enfin, je sais que tu comprends, tu me vois courir toute la journée...à droite, à gauche, en haut, en bas...à l’endroit et à l’envers... je ne te donne pas trop le tourni ? J’aime beaucoup comment tu racontes, c’est bien empreint de ta personne, calme et calmant ! Aujourd’hui, en courant, je me disais qu’il fallait absolument que j’envoie l’invitation à toute notre mailing liste avant ce soir minuit...c’est l’objectif du jour ! Je t’ai vu beaucoup réfléchir aujourd’hui... ! J’espère que tu vas bien ? Bonne nuit à tous et regardez bien votre messagerie demain : un lien est arrivé si vite ! Isabelle

J’accumule les rencontres, j’ai commencé à filmer.


Le 16 avril 2005

Rencontres

Cette semaine j’ai formalisé ma relation avec la Bibliothèque, Génération Solidaire et le Club de prévention : je peux y passer quand je veux, y rester le temps que je désire, boire un café, parler, rencontrer, expliquer, y travailler, y filmer. Me poser.

J’ai commencé à faire tout cela en totale autonomie. Aucune de ces structures ne m’a demandé un droit de regard sur mon travail, sur mes films. Elles ont confiance dans le respect que je porterai aux personnes qui participeront à ces lettres vidéo.

J’ai vécu un moment magique à Générations Solidaires : deux animatrices, sourire aux lèvres, chantant en chœur une chanson espagnole à un vieil homme assis face à elles. Plus tard, l’une d’entre elles me confie que cela fait aussi partie de leur travail, d’une conception de ce travail. Je pense que je leur demanderai bientôt de me chanter cette chanson de la même manière pour la caméra.
Dans cette association, j’ai présenté mon projet à une dizaine de personnes attendant autour d’une grande table. Ce sont en majorité des personnes âgées qui passent régulièrement là pour demander un service, une information, faire la causette ou attendre quelque chose.
Elles ont d’ailleurs fait tout cela en m’écoutant. Alors j’ai fait pareil. J’ai fait la causette, parlé de mon projet à l’une ou à l’autre, bu un verre d’eau, demandé une info dans un bureau, et j’ai attendu moi aussi autour de cette grande table.

Parmi ce « public », il y a Sophie, une jeune femme assise dans son fauteuil roulant. Elle s’intéresse à mon histoire de lettres. Elle désire y participer, elle est révoltée par la ségrégation contre les handicapés. Elle veut se battre, raconter, revendiquer.
On se revoit deux jours plus tard, nous prenons rendez-vous pour faire une lettre la semaine prochaine.

Jeudi après-midi, au Club de Prévention, il n’y avait pas beaucoup de jeunes. Ce n’est pas tous les jours comme ça. Aidé par les éducateurs, je parle des lettres. Sofia, qui passait là pour une histoire de recherche d’emploi en tant que serveuse, me dit en riant que son plus grand rêve est d’avoir un grand restaurant et un tigre blanc... je la filmerai lundi. Où vais-je trouver un tigre blanc ?

Je ne vais pas raconter ici toutes les rencontres car cela serait un peu long.

Filmer

J’ai filmé deux personnes cette semaine : Alya chez Multimédi@log et Brigitte dans les locaux d’Entrez Sans Frapper.

Alya face à la caméra me raconte des envies simples, dont plus de fleurs, plus d’écoles, plus de dessins d’enfants, un job, des vacances à Argelès...
Je pense en même temps à des images : des tableaux ramenés de Collioure, de mer avec voiliers suspendus dans le bureau de cette association, des dessins d’enfants aperçus à la bibliothèque, des très gros plans de fleurs...

Je ne pense pas filmer les immeubles du quartier, sauf si une personne me le demande pour sa lettre. J’ai de plus en plus envie de construire en faisant appel à l’imaginaire. Lorsqu’on lit une lettre on s’imagine les gens, les situations, les lieux, il y a des associations d’idées qui se créent. L’image est beaucoup plus directive, elle ne laisse dans le vague que le hors champs : ce qui est hors de son cadre. Sauf bien sûr si on connaît le lieu.

Avec la construction de mes images et le montage, j’ai envie d’approcher l’imaginaire provoqué par l’écrit. Je pense alors à l’utilisation de la macro (très très gros plan), à la surimpression, à un jeu sur la couleur...

Je vais aussi faire les films au format 16/9 ème, pas le vrai, qui est trop contraignant avec le matériel de diffusion, mais une imitation en ajoutant des volets noirs lors du montage. Je cadre en conséquence mais ce n’est facile car je dois imaginer ces volets.
Pourquoi ce choix ? Je pense que c’est pour mettre en valeur les personnes filmées : image cinématographique et rejet de la télé, des médias, de leur discours, de leur obscénité.

Brigitte ne veut pas que je filme son visage. Je prends sa voix au plus près. Elle me parle de partir vivre au Maroc, dans l’Atlas, avec son mari qui est de là-bas. Là-bas les gens ne sont pas seuls...

Elle a appris à faire le pain. Je filme la farine, l’eau, ses mains au travail sur la pâte. Je fais de très gros plans d’une robe de fête que je lui avais demandé d’apporter. Je lui montre, elle me dit qu’elle ne l’avait jamais vu comme ça, avec cet œil.

Je vois dans ma tête, comme un rêve : des idées de travail sur ces images, de les mêler, avec sa voix présente et calme.
J’aime cet état de « rêverie » de film qui me dirigera plus tard sur la « table de montage ». Tenter d’approcher ces sensations d’images et de sons.

Ma caméra

Je n’ai pas encore assimilé tous ses réglages. J’ai un problème avec la mise au point ; je l’utilise souvent en automatique car en gros plan quand cela bouge dans l’image elle réagit plus vite que quoi. Elle ne fait pas toujours les choix que j’aurais pu avoir mais bon...
Elle est géniale en macro, je l’amène à deux centimètres des objets (robe, fleur, livre...), je la déplace lentement sur des matières, et je suis fasciné par le rendu. Elle m’a sûrement influencé dans mon désire d’utiliser les très gros plans.

La semaine prochaine

Mardi à 10 heures on organise un petit déjeuner rencontre avec des habitants au local d’ESF.

Si tout se passe comme prévu, en fin de semaine prochaine j’aurai de quoi monter 6 lettres :
celles d’Alya, Brigitte, Sofia, une personne lundi matin dont je ne connais pas le prénom, Sophie et Jean-Paul (un coiffeur- barbier bavard)...

Je dois aussi rencontrer d’autres structures mais que le temps passe vite...

Messages du forum associé à l’article :

18 avril 2005 > J’accumule les rencontres, j’ai commencé à filmer.

C’est toujours marrant comment quand on commence un film, on a tendance à construire des chateaux en Espagne.... Mais qu’est-ce que c’est bien de te suivre dans cette aventure... Il reste que je suis persuadé qu’il n’y a pas plus beau paysage, pas plus évocateur, qu’un visage face caméra, qui parle... Ajouter des images sans que ce soit des redites... pas évident.... André

18 avril 2005 > J’accumule les rencontres, j’ai commencé à filmer.


Oui le visage est très évocateur. J’ai filmé Sofia, vingt ans, cet après-midi et je n’imagine aucune image recouvrant son visage tellement elle est là, tellement elle est expressive. Mais peut-être que j’ai envie de travailler différentes formes d’écritures ? Car justement avec les images je n’ai pas envie de faire redite mais aller vers plus encore. Un plus né de la relation. En tout cas je vais fabriquer des choses entre les lettres. Les miennes ?

Cela me fait énormément plaisir André que tu suives mon travaiL. jluc

La semaine prochaine j’attaque le montage...


Le 24 avril 2005

Cette semaine a été harassante.

Des conditions météo difficiles : vent, pluie, alternance rapide de soleil et ciel gris, problème de lumière, je ne filme qu’en intérieur... J’ai rencontré beaucoup de monde, être entier et toujours là dans la relation à l’autre me prend de l’énergie. Il y a aussi toute l’information que j’accumule sur Empalot, sur la vie dans le quartier, sur les associations.

Je travaille seul avec un micro directif, sans preneur de son, donc le son reste scotché à l’image, il se ballade difficilement autour sans devenir lointain. Je dois focaliser mon attention sur mes oreilles et, ou sur mes yeux. Je n’utilise pas de casque pour être plus libre dans mes mouvements au risque de ne pas m’apercevoir d’un problème de prise de son. Mon expérience d’ingénieur du son et la connaissance de mon micro me permettent pour l’instant d’imaginer ce qu’il enregistre.

De nouvelles lettres

Lundi matin, Bernadette est en stage informatique chez Multimédi@log. Elle me parle du regard des habitants du quartier sur les jeunes. Elle est dans une semi pénombre : il pleut dehors, un semi remorque est garé devant les fenêtres, les ampoules de l’associations oscillent entre 40 et 60 watts. J’espère pouvoir rattraper la lumière au montage. Pour la première fois je mets un peu de gain. Il va falloir que je me fabrique un petit projecteur. Tout en pensant à cela, je suis concentré sur les paroles de Bernadette et je lui pose des questions pour qu’elle ne reste pas qu’en surface.

Lundi après-midi j’ai rendez-vous avec Sofia au Club de Prévention à 16 heures. 16 heures 30, j’attends toujours avec Amandine. Un jeune me lance que je devrais filmer avec plein de caméra le quartier, les caillassages de la MJC, les émeutes... Je lui réponds que je ne suis pas la télé. Il ne semble pas m’écouter et s’éloigne. Il revient me dire la même chose. « Comme un loft story ? lance en plaisantant un éducateur. » Je demande s’il n’y a pas déjà assez de caméras comme ça ? Je pense à la responsable de la MJC qui une heure plus tôt me confiait que c’est la première fois de sa vie qu’elle se retrouvait face à un fusil à canon scié. C’était le week-end dernier. La MJC a dû fermer au public depuis. Ses ateliers continuent de fonctionner. Elle focalise en ce moment quelque chose de pesant et d’indescriptible.

Que fait Sofia ? « Tu sais ici, il ne faut pas prendre de rendez-vous mais faire au présent... » me dit Jacques. Il n’a pas terminé sa phrase que Sofia arrive avec sa copine Nassera. Elles sont resplendissantes et toute sourire. Deux brins de soleil dans la grisâtre.

Mardi matin, petit déjeuner dans les locaux d’ESF, une quinzaine de personnes, j’explique les lettres et je prends deux contacts. Léonce goûte le pain de Brigitte. Il est apparemment très appétissant car il en reprend plusieurs fois alors que la table regorge de viennoiseries. Quelques jours plus tard il revient avec un poème dédié à ce mets délicieux.

Sophie, Brigitte et Bebel en avance pour le petit déjeuner

Mardi après midi autour de la grande table chez Générations Solidaires, Amandine prépare café et tisane, Madame Thérèse, casquette de rappeur sur la tête, 103 ans, raconte de gentilles histoires « cochonnes » à un public de retraité(e)s hilares. Elle chante Piaf à merveille. Je lui parle de mon projet. « Non, je ne veux pas être filmée... »

Le lendemain je la photographie avec la caméra. Je lui montre sur l’écran lcd. Elle veut que je lui offre la photo. Je reviendrai Madame Thérèse.

Madame Thérèse

Nous avons rendez-vous à 17 heures au cinquième étage du même immeuble chez Sophie.
Sur son fauteuil à moteur, elle nous parle de sa volonté de se battre contre son handicap.

Puis elle nous présente un livre qui l’a profondément marquée :

« Le Métier d’homme » d’Alexandre Jollien

Je vous donne l’adresse de deux articles sur cet auteur trouvé sur Internet :

http://virginieluc.blog.lemonde.fr/virginieluc/2005/02/le_mtier_dhomme.html

http://www.esprit-et-vie.com/article.php3?id_article=528

Le lendemain matin nous avons rendez-vous à la bibliothèque. Elle arrive toute trempée sous une averse et en éclats de rire. Elle me lit un extrait du livre d’Alexandre Jollien qu’elle a choisit.

...

Alya, Brigitte, Bernadette, Sofia, Nassera, Sophie, le groupe KKC répétant dans un appart, Jean Paul le barbier rasant un client, Bebel...

J’ai une semaine pour monter ces lettres, plus peut-être les miennes... cela relève un peu de la performance artistique ?

Lundi et mardi je travaillerai chez ESF, mercredi à la bibliothèque, le reste de la semaine chez moi pour être plus concentré.

Jeudi, je me suis bricolé un petit halogène de 150 watts pour les fois où je n’aurai pas assez de lumière.

Je ne sais pas pourquoi mais j’ai souvent pensé à Gaston Bachelard durant cette semaine.

« On veut toujours que l’imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images ». Gaston Bachelard

Thérèse et Amandine : regards et images ?

Messages du forum associé à l’article :

25 avril 2005 > La semaine prochaine j’attaque le montage...

C’est quand même dingue, comment la disponibilité crée la rencontre, c’est de l’ivresse, non ? Beaucoup de femmes, où sont les hommes ? La prédominance de la Télé, fait que tu es obligé de dire que c’est pas « la Télé », mais que c’est de la télé... Gros boulot répétitif... Le plus facile, c’est de tourner... après faut monter... hé hé !Alors, on "attaque" le montage .. Je pense au manque de lumière, faudrait trouver une formule ou le spectateur verrait à l’écran qu’il y avait peu de lumière... Si tu commences à te trimballer avec de l’éclairage... ça t’alourdit... Je trouve que le micro sur la caméra, est très souvent la meilleure configuration pour le genre de travail, et que les risques de "mauvais son" sont rares.. Enfin, je ne suis pas "ingénieur" moi ;=

On a toujours eu des discussions sur le documentaire et le fiction, là tu y es en plein... Bachelard a très peu connu la caméra numérique, c’est bête... Mais ce qu’il dit sur l’imagination et l’image c’est intéressant, mais dans ton (nos)cas c’est différents...

On fait une image (objective) et pendant qu’on la fait , on « imagine » ce qu’elle sera, ce qui modifie constamment notre façon de la « prendre ». Quand on la visionne, j’aime beaucoup ce moment de confrontation entre ce qu’on a « imaginé » avoir tourné et ce qui est sur l’écran... Leçon d’humilité le plus souvent. Puis on « imagine le montage », et une fois monté, c’est une nouvelle confrontation avec soi, puis avec le public...J’ai oubliè qu’on « imagine », ce qu’on va tourner... L’imagination est convoquée et confrontée en permanence... Ca fatigue parfois... C’est pas un boulot de réalisateur, mais d’ « imagineur... » Tiens pourquoi pas ?

Pour le vernissage, faudrait pas qu’il y ait trop de monde de l’extérieur, non ?

25 avril 2005 > La semaine prochaine j’attaque le montage...

Ce que tu appelles imagination ressemble aux rêveries de la volonté de Bachelard ? C’est la part d’art ? Jluc


Le montage, comme toute écriture, est une suite de décisions.


Le 5 mai 2005

Comme prévu, cette semaine est passée très vite. J’ai fini le montage dans la nuit de dimanche à lundi. C’est pour cela que j’écris avec un peu de retard mon petit journal de la semaine.

J’ai monté lundi et mardi dernier sur un pc portable dans les locaux d’Entrez Sans Frapper.
Amandine, toujours en stage, me regardait faire. Je lui demandais régulièrement son avis sur les choix de montage, je lui expliquais l’organisation de la structure d’un film et lui montrais les raccords. C’est magique le montage. On crée un univers, on l’articule. Le montage, comme toute écriture, est une suite de décisions. Deux jours plus tard elle me dit que cela lui a donné fortement envie de faire de la vidéo.

Nous avons commencé par la lettre de Sophie.

Il y a deux lieux de tournage : chez elle et à la bibliothèque d’Empalot. Je décide de démarrer et de finir ce film à la bibliothèque, au milieu c’est chez elle. Le film est introduit par un extrait du livre « Le métier d’homme » lu par Sophie. Elle avait choisi trois à quatre pages, je lui avais expliqué que c’était trop long et qu’elle devait resserrer son choix à une page et demi. Mais même là au montage c’est un peu long. Je décide de couper dans sa lecture quelques phrases en faisant attention à respecter le sens global du texte. Comme quoi le temps réel et le temps sur un écran ne correspondent pas ; sûrement parce qu’il y a focalisation sur l’image de la personne qui lit. D’autant plus que je ne recouvre pas son visage par d’autres images. Dans le réel, lorsqu’on écoute une personne lire, on ne reste pas forcément à la regarder. Notre regard vagabonde ou nous créons dans notre tête nos propres images à partir du texte. Elles peuvent perturber notre attention : nous décrochons et revenons. Question : est-ce que nous créons dans notre pensé des images lorsque nous regardons et écoutons quelqu’un lire dans un poste de télévision ?

Je m’aperçois qu’il me manque des images. Je retourne mercredi matin à la bibliothèque. J’en profite pour filmer des dessins d’enfants. La personne qui travaille à la ludothèque me dit qu’aujourd’hui ces enfants ont une quinzaine d’années, cela fait un bail que ces dessins sont accrochés sur ce mur, qu’ils vont bientôt être enlevés. Dans quelques mois, la bibliothèque doit être démolie pour une nouvelle sur un seul plan et panoptique comme celle de Cabanis. D’un coup je les perçois autrement. Ils deviennent une sorte de bout de mémoire d’Empalot. Je décide d’en faire une séquence que je glisserai entre deux lettres vidéo. Les réanimer, leur redonner une vie ? Et qui sait si un jour l’un de ces enfants, ado aujourd’hui,voit par hasard ces images ?

J’en profite pour faire des plans, au premier, à la bibliothèque des enfants. A un moment je filme des petites tables, un coin de lecture, lorsque j’entends un petit courir tout essoufflé. Il entre dans le champ de dos un livre dans les bras, passe en diagonale et sort... Merci, c’est un joli cadeau que tu m’as fait là.

Durant ces deux jours plusieurs personnes passent. Brigitte : je lui fais écouter la musique, une reprise de Oum Kalsoum par Lole y Manuel, que je pressens pour sa lettre. Elle la trouve superbe et lui convient tout à fait. Elle regarde quelques images, mais ne s’imagine pas le montage. Je lui dit que sa voix passe très bien. Joël vient me photographier pour les « Coursives d’Empalot ». On prend un moment pour regarder quelques photos qu’il a faites sur le quartier. Léonce vient prendre des nouvelles sur les suites données à son poème sur le pain de Brigitte. Elle est d’accord, il fera partie de la prochaine série de lettres...

Je pense au cinéaste Robert Kramer et à sa manière d’introduire les lieux et les personnages dans ses films. Je me souviens de « Point de départ » tourné au Vietnam. On suit un personnage circulant en vélo au milieu d’autres cyclistes, puis on voit son vélo contre un mur, puis son chapeau sur un porte manteau, puis le personnage face à la caméra...

Robert Kramer

http://www.place-publique.fr/mag/mag12/portrait3.html

http://www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/pointsdevue/doc3.htm

Dimanche dans la nuit je finis le montage : 9 lettres pour une durée de 46 minutes. Je dois encore fabriquer le DVD et là j’accumule galère sur galère. La compression en mpeg2 ne supporte que difficilement les travelling à 2 centimètres du tissu de la robe de fête à Brigitte.
Mardi matin à 6 heures je fonce chez « les Films de la Castagne » pour utiliser leur carte d’acquisition Canopus afin de transcoder mon film mini DV en mpeg2, le format des DVD.
Là je suis sauvé, cela marche nickel, le tissus ne se transforme pas en bouillie.

Le trac du vernissage des premières lettres.


Le 11 mai 2005

Je ressens toujours une tension interne lors des diffusions publiques des films que j’ai réalisés. C’est le trac, mais c’est aussi une sorte d’état second dans lequel je me plonge et où le temps s’étire : je me concentre sur les réactions et sur l’attention des spectateurs. Ce n’est qu’à ce moment là que je prends du recul sur mon travail, que je revois mes films avec un autre œil, une distance.

Cela me le fait encore plus, comme à ce vernissage de lancement des lettres vidéo, lorsque le public est directement concerné, lorsque certains spectateurs-trices ont participé aux films. Je cherche à ressentir leur perception, à savoir s’ils se reconnaissent ou pas dans cette écriture, dans les sensations qu’elle émane. Je suis persuadé qu’eux aussi sont atteints par une sorte de trac.

Ce vernissage est passé trop vite pour moi, je n’ai pas eu le temps de parler avec chaque personne présente, de leur demander une critique ou de leur dire bonjour tout simplement.

Comme le mois précédent, sous le mauvais temps, je redémarre un cycle de prise de contacts et de tournage de nouvelles lettres vidéo. Il n’a fait beau pour l’instant que lorsque j’étais enfermé dans une pièce au montage.

Après le vernissage, mon envie de vivre a été de partir deux ou trois jours à marcher en montagne. Ce que j’ai fait. Je vous ai ramené des photos.

Dent de chien : nom étonnant pour une fleur vivant à plus de 1500 m d’altitude
Au sommet du Mont Fourcat

"Tu fais ça pourquoi ?"


Le 20 juin 2005

J’explique le projet des lettres vidéo à un jeune affairé sur la photocopieuse du Club de prévention.
Tu fais ça pour quoi ? me dit-il.
Sur le moment je me demande s’il a bien compris mes explications. Puis, après réflexion, je me dis que la question est pertinente.

En effet pourquoi je fais ça ?
Devant mon silence il précise :
Mais à toi, qu’est-ce que cela t’apporte ?

Cet après-midi, Tony, 11 ans et futur champion d’athlétisme (?), me questionne après avoir regardé la lettre sur ses rêves :
Elle va passer sur France 3 ?

Non, c’est pas prévu pour cela... c’est pas pour la télé, et la télé ne diffuse pas des films comme ça, cela ne l’intéresse pas.

Et sa mère de rajouter en parlant de moi :
Il faut qu’il monte en grade... plus tard peut-être ?

Et oui, faire de la télé ou passer à la télé, apparemment c’est prendre du galon. C’est une sorte de mesure étalon la télé...

Alors pourquoi je fais ça si ce n’est pas pour la télé ?

Voir les Lettres vidéo en streaming...


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