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TEMOIGNAGE

Ainsi, mon fils, 16 ans, a eu droit à un traitement de "faveur" et a réuni plus de cinquante policiers venant de Bordeaux, Pau, Mauléon et Irrissary. Je ne vous cache pas qu’au bout de quinze heures d’interrogatoire il a avoué avoir lancé une pierre.

mardi 9 décembre 2008

Ce mercredi 26 novembre 2008 à six heures du matin au pays basque, à Armendarits, entre Hasparren et St Jean Pied de Port, une opération policière de grande envergure a eu lieu au domicile d’un adolescent qui vient juste de fêter ses seize ans.
Plus de cinquante policiers ont bloqué durant la perquisition les sorties et entrées de deux villages, Armendarits et Iholdy. Lorsque la perquisition a pris fin à 9h30, ils ont pris le jeune Jordi pour une garde à vue de plus de quinze heures. Son inculpation concerne soi disant une violence à agent. Ce jeune a participé à une manifestation à St Jean Pied de Port, un an auparavant, c’est à dire à quinze ans, comme de nombreux autres jeunes qui suivent une manifestation.


Témoignage de la mère de Jordi :

Les origines de cette manifestation :
Le restaurant Ducasse, situé vers Urepel, subit en 2007 des dégâts. Les soi disant auteurs sont arrêtés. Ils sont tous autour d’un bar militant qui s’appelle "KALAKA". De nombreuses perquisitions mettent à mal ce lieu et le bruit court qu’il va fermer. Par ailleurs un des jeunes arrêté alors fait une tentative de suicide en prison.
Nous sommes en zone rurale, tout le monde se connaît ; ce bar est un lieu de rencontre des jeunes du territoire, de plus ils sont choqués de la nouvelle du suicide de leur ami. En très peu de temps ils organisent une manifestation qui aura lieu le 24 novembre 2007. Ce jour là, c’est familial : des enfants et des jeunes, des adolescents et des plus âgés. A priori, les plus âgés se sont masqués et ont jetés des cocktails et des pierres. Les plus jeunes, étaient autour, regardant simplement, pas masqués.

Voilà, mon fils faisait partie de ces jeunes autour, tout comme trois de ses amis qui ont été interrogés à la gendarmerie. Ainsi, mon fils a eu droit à un traitement de "faveur" et a réuni plus de cinquante policiers venant de Bordeaux, Pau, Mauléon et Irrissary. Je ne vous cache pas qu’au bout de quinze heures d’interrogatoire il a avoué avoir lancé une pierre, je vous joins son témoignage.

Je ne sais si vous diffuserez cette nouvelle, je sais que nous ne sommes pas bien placés ici, car ce qui est transmis à l’extérieur c’est toujours la violence d’ETA, mais nous ne sommes rien d’autres que des familles on ne peut plus commune. Nous sommes dans le milieu culturel, nous créons et diffusons en langue basque et en langue française. Cela est peut-être devenu un crime, ou alors de participer à une manifestation est aussi devenu un crime ou alors...

En fait je n’ai pas de réponse, j’ai entendu dire que nous étions en pays basque un terrain expérimental pour les opérations policières. J’en ai eu ce jour la confirmation. Et juste une réflexion "si cela est expérimental, que sera la réalité ?"

J. L.

Le Témoignage de Jordi publié par EKAITZA (hebdomadaire politique basque bilingue) :

Mercredi dernier à Armendaritze en Basse-Navarre, un nouveau déploiement policier a eu lieu en fin de nuit. Un mineur de tout juste 16 ans a été arrêté chez lui, à 6 heures du matin, et maintenu en garde à vue pendant plus de quinze heures, dans des conditions qui montrent une fois de plus la violence policière et judiciaire en Iparralde et en France. Nous avons demandé à Jordi de nous raconter comment il avait vécu cette arrestation.

Ekaitza : Les gendarmes sont arrivés chez toi à 6 heures : peux-tu nous raconter comment cela s’est passé ?
Jordi : Ils sont entrés exactement à 6 heures 10 dans ma chambre, il y avait cinq flics, ils m’ont dit « vous savez pourquoi on vient ? ». Aussitôt qu’ils sont arrivés, ils m’ont pris mon portable, et après je n’ai plus eu d’heure. Puis ils m’ont dit de m’habiller et m’ont demandé où était la chambre de mon père.

Ekaitza : Mais ce ne sont pas tes parents qui t’ont réveillé, ou qui sont venus te chercher ?
Jordi : Non, en fait je dors dans une petite dépendance, et ils sont venus directement dans ma chambre sans mes parents. En plus ils savaient très bien où ils dormaient, car ils les ont réveillés en même temps que moi. Un fois habillé, ils m’ont emmené à la maison : mes parents étaient là. Ils ont dit à mon père que j’avais eu un comportement virulent, qu’ils me mettaient en garde à vue 24 heures renouvelables, et qu’ils allaient procéder à une perquisition. Mon père a demandé à voir la commission rogatoire, ils ne lui ont pas montré, ils lui ont dit que c’était « pour violence par fait d’armes, ayant occasionné une ITT de quatre jours » (il s’agit de la manifestation qui s’était déroulée à Garazi en septembre 2007 pour protester contre l’arrestation des salariés du bar Kalaka, et pour laquelle d’autres jeunes mineurs ont déjà été convoqués à la gendarmerie, mais sans garde et vue et perquisition, NDLR). Ils ont commencé la perquisition. Ils ont pris des photos de l’intérieur de la maison, des coins et des bas de murs, je ne sais pas pourquoi ils faisaient ça (la maison est en travaux NDLR). Ils me faisaient les suivre dans toutes les pièces de la perquisition, mon père m’accompagnait.

Ekaitza : Comment te sentais-tu à ce moment-là ?
Jordi : Je ne savais pas ce qu’il se passait, ce qu’il allait m’arriver, j’étais paniqué au début.

Ekaitza : Jusqu’à quelle heure a duré la perquisition ?
Jordi : Jusqu’à 9 heures environ. Après ils m’ont embarqués seul dans une voiture, je ne savais pas où on allait. Mon père suivait dans sa voiture. Ils en ont profité dans la voiture pour faire pression sur moi, ils m’ont dit entre autres : « votre jeu de délinquants, ça va pas durer longtemps. La Palestine, c’est fini », aussi : « si tout se passe bien, vers 11 heures et demie, tu es sorti ». On est arrivé à la gendarmerie.

Ekaitza : Tu connaissais l’endroit ?
Jordi : Non. Les deux gendarmes qui m’avaient accompagné dans la voiture ont attendu avec moi l’avocate. Ils écrivaient des choses en attendant. Un « gentil » m’a proposé un café. L’avocate est arrivée, je ne sais pas trop l’heure qu’il était.

Ekaitza : Combien de temps est restée l’avocate ?
Jordi : Je ne sais pas, 25 minutes, une demi-heure. Je ne sais plus trop ce qu’elle m’a dit, mais elle m’a soutenu. Ca m’a fait du bien.

Ekaitza : Et quand l’avocate est partie ?
Jordi : Les deux gendarmes qui étaient dans la voiture sont arrivés. Vers 11 heures et demie, il y en a un qui m’a apporté à manger et il m’a dit : « C’est ce que tu mangeras ce soir, demain matin et demain soir ».

Ekaitza : Mais ce n’était pas encore filmé ? (L’audition des mineurs en garde à vue, selon la loi, doit être filmée, NDLR)
Jordi : Non, ils ont commencé à filmer après le repas, avec une webcam posée sur une imprimante avec du scotch. Apparemment ils ne savaient pas trop comment ça marchait. La première audition a débuté : ils m’ont demandé comment s’était déroulée la manifestation, avec qui j’étais arrivé, si j’avais fait des achats avant la manif, si les actes étaient préparés,si j’avais vu des étrangers, si j’avais entendu des voix espagnoles. J’avais un vrai trou de mémoire, mais les gendarmes ne croyaient pas que je ne me rappelais pas, parce que ça faisait plus d’un an que ça c’était passé. Le jeune gendarme « méchant » disait que c’était le « trou » pour mentir. Un gendarme a repassé le déroulement de la manif jusqu’à la gendarmerie, et à ce moment-là il a haussé le ton et dit : « on passe aux choses sérieuses ». Ils m’ont demandé : « qu’est-ce que vous chantiez ? l’hymne basque ? ça s’appelle comment votre truc ? « Eusko » ? Ils m’ont demandé aussi ce que voulait dire le mot « txakur », si ce n’était que pour les gendarmes ou pour tous les flics. Je pense qu’ils me testaient. Pendant l’interrogatoire, ils brandissaient aussi de loin des photos en me disant qu’on me voyait en train de jeter des pierres, mais ils ne me les ont jamais montrées de près.

Ekaitza : Et t’ont-ils montré d’autres photos ?
Jordi : Oui, dès le début de l’interrogatoire. Ils m’ont d’abord confondu avec quelqu’un qui portait un keffieh, alors que je n’en avais pas ce jour-là. C’est pour ça que pendant la perquisition, ils m’ont pris mon keffieh. Ils m’ont montré ensuite quelques autres photos, où j’apparaissais lors de la manif, mais où je regardais seulement. Ils disaient qu’ils avaient aussi une vidéo où on me voyait jeter des pierres.

Ekaitza : Ils t’ont montré la vidéo ?
Jordi : Non, jamais. A la fin de la garde à vue, je leur ai demandé, ils m’ont dit qu’elle était brouillée.

Ekaitza : Cela veut dire qu’ils n’ont aucune vidéo, aucune photo, et qu’ils cherchaient à faire pression sur toi.
Jordi : Oui, ils m’ont dit aussi qu’un copain m’avait dénoncé. Tout ce que je raconte là a duré deux ou trois heures. Un flic disait : « oui, j’étais à la manif, c’est lui avec l’anorak qui m’a jeté une pierre ». Pendant ce temps, d’autres flics passaient, et demandaient si j’avais lâché le morceau, ou si je faisais chier. Ensuite ils m’ont emmené en cellule.

Ekaitza : Comment était la cellule ?
Jordi : C’était une petite pièce sans lumière, avec juste un carreau opaque qui donnait sur le couloir.

Ekaitza : Tu étais donc dans le noir ?
Jordi : Oui, quasiment. Il y avait un lit en béton qui ne faisait même pas ma taille, avec une vieille couverture pas lavée, et qui sentait mauvais. En plus alors que j’avais froid, il m’ont enlevé mon manteau, pour prévenir les risques de suicide, ont-ils dit. Ils m’ont enlevé aussi ma ceinture et mes chaussures, je me suis retrouvé en chaussettes sur le béton froid. Ils m’ont mis en cellule vers 2 heures peut-être. Je ne peux pas dire combien de temps j’ai passé la première fois, une heure peut-être. Je m’enroulais dans la couverture pour ne pas avoir froid. Ensuite ils sont venus me chercher pour prendre mes empreintes, toujours les deux mêmes, le « gentil » et le « méchant ». C’est le « gentil » qui m’a fait les empreintes digitales et les tests ADN avec la salive. Il me l’a fait plusieurs fois. En même temps ils parlaient entre eux, en disant que j’allais aller en foyer, et que je ne reverrai pas mes parents de sitôt.

Ekaitza : Quand ils disaient ça, c’était filmé ?
Jordi : Non. Ils me disaient aussi que j’allais aller en prison. Après les empreintes, ils m’ont proposé une cigarette dehors. Alors là, ils ont attaqué (ils étaient quatre à fumer une clope) : « dès que t’auras 18 ans, ce sera effacé, ce n’est pas grave », « là, t’es en train de t’enfoncer », « tu auras une très légère amende », etc. Pendant que j’étais dehors, ils m’ont pris à nouveau en photo, devant le mur, de face, de profil. Dehors ils m’ont parlé d’Irrintzi, de Bota Gaztetxea.


Ekaitza : Tu savais ce qu’était Irrintzi ?

Jordi : Non, ils m’ont dit que c’était la suite d’IK. Ensuite on est remontés, il devait être vers 5 heures de l’après-midi. Ils m’ont à nouveau questionné pendant une demi-heure, puis ils m’ont remis en cellule en disant : « moi, ça ne me ferait pas plaisir d’aller en cellule ». Je ne savais pas ce qu’il allait se passer de plus. Là, je suis resté moins longtemps, une petite demi-heure peut-être. Un autre gendarme est venu me chercher en disant : « t’as intérêt à cracher le morceau, sinon ça va durer ! ». J’ai été amené dans une autre salle, ils avaient tout déménagé, la webcam aussi. Dans la salle, il y avait une grande affiche avec les photos de tous les prisonniers d’ETA. Moi je ressentais qu’en m’amenant là, ils me disaient que c’était ce que j’allais devenir. Lors de cet interrogatoire, j’étais complètement démoralisé. Ils me disaient : arrête, on a une vidéo, on te le dit depuis ce matin ! », « arrête de mentir, c’est pas grave, on a tous fait une connerie quand on était jeune », « tes parents n’ont pas une gueule d’abertzale ou de terroriste », « le procureur va comprendre que tu as fait une connerie », « c’est pareil que si tu avais filé un coup de poing à un copain dans la manif ».

Ekaitza : Tu n’entendais pas à ce moment-là les cris et les bruits du rassemblement de soutien devant la gendarmerie ?
Jordi : Si. Quand j’ai entendu les cris du rassemblement, j’ai dit « il y a des gens dehors », mais cinq minutes après ils m’ont sorti de la salle. Toute la journée, ils avaient dit en rigolant entre eux « les manifestants ne sont pas encore arrivés ». A un moment, il y a un car du Basque Bondissant qui est passé, ils ont dit : « ouais, c’est eux ».

Ekaitza : Qu’est-ce que ça t’a fait d’entendre du monde dehors ?
Jordi : Ca m’a fait du bien, parce que j’étais seul depuis 9 heures. J’avais juste croisé mon père 10 secondes dans un couloir vers midi.

Ekaitza : Comment ça s’est passé ensuite ?
Jordi : Ils ont voulu me remettre en cellule et m’ont dit : « à demain ». Ils m’ont dit aussi : « tu voudrais pas dormir chez toi ? ». Alors là j’ai dit que j’avais jeté un caillou. Là, ils m’ont fait signé plein de trucs sans que je relise. Je n’en pouvais plus. Le matin, quand ils me faisaient signer, je relisais, mais là non. Une fois que je me suis dénoncé, je pensais que c’était fini : ils m’ont dit que non, avec le sourire. Ils ont remis l’affaire sur une ou deux photos où j’étais à côté de gens masqués. Ils m’ont dit que je les connaissais et m’ont demandé de les dénoncer. Comme je ne les connaissais pas, ils m’ont remis en cellule. Ils m’ont fermé la porte à la gueule. J’étais persuadé que j’allais y passer la nuit. 10 minutes plus tard, ils sont revenus : « alors, t’as réfléchi ? ». Moi j’ai fait : « attendez monsieur, je vais pas donner des noms que je connais pas ! ». Ils m’ont refermé la porte à la gueule direct. Puis ils sont revenus au bout de 5 ou 10 minutes en me disant : « tu sors ».

Ekaitza : Il devait donc être vers 9 heures. Tu n’avais pas mangé depuis 11 heures et demie ? Vers 8 heures, les gendarmes ont assuré à tes parents, qui t’avaient apporté à manger, que tu avais déjà mangé. Ton père a beaucoup insisté pour qu’on te remette ce qu’ils avaient porté.
Jordi : Non, ils ne m’ont rien donné à manger, à part à 11 heures et demie. Je me suis dénoncé parce que je voulais rentrer. Ensuite, pour sortir, ils m’ont accompagné dans une voiture qui a fait tout le tour avant de m’amener devant la gendarmerie. Dans la voiture, ils m’ont encore demandé : « t’es sûr que tu ne connais pas Irrintzi ? ». J’ai enfin retrouvé mes parents sur le parking devant la gendarmerie.


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