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TELEVISION : Le documentaire, souvent trop événementiel

En majorité des docu-fictions...

lundi 12 décembre 2005


France 2. La nouvelle politique de la chaîne manque de diversité, tournant le dos au documentaire de création et privilégiant les grands thèmes sociétaux d’actualité.

France 2 a fait une rentrée documentaire remarquée. Pour autant, sa nouvelle ligne éditoriale fondée sur l’audience et l’événementiel n’a rien de remarquable. La chaîne programme dix documentaires par an en première partie de soirée, soit environ un par mois. En majorité des docu-fictions, ils traiteront des thèmes scientifiques et historiques. « Cette expérience inédite n’a jamais été tentée sur France 2. Elle crée une évolution radicale, risquée mais assumée. Nous ferons appel à des signatures pour faire des films de référence par l’ampleur de leur sujet et l’originalité de leur forme », explique Patricia Boutinard Rouelle, la nouvelle directrice de l’unité magazines et documentaires, et transfuge de France 3. La case de deuxième partie de soirée, consacrée à l’histoire immédiate et aux sujets de société, sera avancée au jeudi, à 22 h 30.

Si les intentions pour rendre le genre davantage visible peuvent être louables, il convient néanmoins de se pencher sur les choix et les contenus de cette grille présentée comme « audacieuse » par sa conceptrice. Quelques principes de la nouvelle politique donnent le ton, avec en premier lieu celui non négligeable de l’Audimat : « Le documentaire sur France 2 doit se confronter à l’audience. En tant que navire amiral, la chaîne a un devoir particulier de ne pas travailler sur des niches ou sur des cibles précises mais pour conquérir le public le plus large possible et développer une télé de contenu généreuse. » Faire plus d’audience, c’est sans doute là que le bât blesse pour de nombreux documentaristes.

Denis Gheerbrant, fondateur d’Addoc (association des cinéastes documentaristes) et membre du Groupe du 24 juillet, est clair : « Lorsque la politique du documentaire est établie sur une logique d’étude de marché, elle est par définition tendancieuse. Une oeuvre n’est pas un produit formaté. Elle parle de notre monde avec des images sensibles et investies par ceux qui les font. » Face à une telle critique, Patricia Boutinard Rouelle défend une conception du documentaire qui laisse de côté tout un pan de la création documentaire : « On réduit trop souvent le cinéma du réel au film d’auteur. Il faut au contraire ouvrir le documentaire à d’autres approches, sans pour autant restreindre sa capacité créative. France 2 a ce pouvoir de masse qui fait qu’on aura tendance à retenir les projets de réalisateurs qui ont envie de toucher les gens et qui ont cette générosité dans l’écriture. Si c’est de l’art pour l’art, c’est une autre démarche et ce n’est peut-être pas pour la télévision. » Désormais, les documentaires d’auteurs sont quasi absents de la grille de France 2. Et ceux annoncés pour le prime time ont été clairement conçus pour faire du « grand spectacle de télévision ».

Premier de la liste : l’Odyssée de la vie, de Nils Tavernier. Ce docu-fiction (coproduction internationale qui s’élève à trois millions d’euros) reconstitue la vie intra-utérine par le biais d’images de synthèse. Suivront des docu-fictions à gros budgets comme Marie-Antoinette, la dernière reine de France, l’Homme du futur ou la Galerie des glaces. Quant à la case du jeudi soir, elle est censée développer des collections « pour explorer des thèmes en profondeur », comme l’école, la justice, la pauvreté, sans perdre de vue l’objectif premier : « Ces collections donneront résonance et ampleur à un sujet autour duquel le public pourra véritablement se rassem-bler », ajoute Patricia Boutinard Rouelle.

Christophe Andréï est réalisateur, membre d’Addoc et du Groupe 25 Images. Pour lui, « non seulement les docu-fictions accaparent un budget colossal au détriment de documentaires moins spectaculaires de deuxième partie de soirée mais en plus ils n’ont, pour la plupart d’entre eux, aucun point de vue ». Et d’analyser un phénomène d’autocensure du côté des documentaristes : « Lorsqu’on sait les choix des décideurs des chaînes, on finit par ne plus présenter nos projets. Nous allons directement vers les chaînes thématiques du câble et du satellite. Cela provoque une sous-évaluation du documentaire, faute de moyens. Mais on le fait quand même avec trois bouts de ficelle. Aujourd’hui, le documentaire est sous perfusion. »

C’est bien le contenu et la qualité des documentaires montrés qui sont en jeu. À ce sujet, la directrice de l’unité magazine et documentaire de France 2 a insisté sur la volonté de renouveler et de diversifier les écritures documentaires. Mais là encore, au vu de la programmation, la création semble se cantonner aux recettes habituelles (images d’archives, reconstitutions, témoignages). Lorsqu’on interroge Patricia Boutinard Rouelle sur les possibilités de diffusion pour un auteur qui ne serait pas une célébrité, elle assure que « les débutants et les auteurs non confirmés auront aussi leur place en deuxième partie de soirée ». Quelle place alors pour ceux, nombreux, qui ne sont ni célèbres ni débutants ? Quelle place pour ceux qui proposent autre chose que des sujets consensuels à l’instar des Derniers Jours d’Édith Piaf, d’Arnaud Hamelin, ou des sujets racoleurs tel les Mystères sanglants de l’Ordre du temple solaire, d’Yves Boisset.

Si certains documentaires sont utiles sur le terrain de la découverte du monde, comme ce fut le cas de l’Odyssée de l’espèce, ils restent sur des modes de récit spectaculaires et efficaces. Le documentaire de création en tant qu’art se détermine sur des écritures singulières et sur des impulsions poétiques, sans à tout prix chercher à transmettre un message informatif. La nouvelle grille de France 2 s’oriente vers plus d’événementiel et se tourne vers les grands thèmes sociétaux d’actualité. Une question s’impose : si le service public n’est pas le garant d’une diversité documentaire, qui s’en chargera ?

Ixchel Delaporte (L’Humanité)


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